“Pionnier” et persona non grata : James Watson, le découvreur de la structure de l’ADN

“Un pionnier de l’ADN”, dit la BBC, l’auteur de “l’une des découvertes les plus importantes de l’histoire de l’humanité”, selon la Süddeutsche Zeitung, “parmi les scientifiques les plus célèbres du XXe siècle” pour la Repubblica, mais aussi “le bad boy de la biologie” d’après le Wall Street Journal devenu, clame la radio NPR, “persona non grata” dans deux domaines qu’il avait marqués, la biologie moléculaire et la génomique. James Dewey Watson était tout cela à la fois. L’homme qui a codécouvert la structure de l’ADN en 1953 est décédé vendredi 7 novembre près de New York, à l’âge de 97 ans. “Souvent célébré comme un pionnier de la génétique, des remarques racistes et sexistes ont terni sa réputation et jeté une ombre sur son héritage”, résume National Geographic.
Celui qui est décrit comme un “génie précoce” par le Washington Post grandit à Chicago, élevé par un père homme d’affaires qui l’emmène observer les oiseaux. M. Watson finit le lycée à 15 ans seulement, s’intéresse à la zoologie et étudie dans une université de l’Indiana avant de rejoindre Cambridge. Là-bas, le jeune Américain se penche sur l’ADN avec le physicien Francis Crick. Le 21 février 1953, ils conçoivent “un modèle en fil de fer et en carton qui a marqué l’histoire”, commente la Repubblica : la première représentation d’une molécule d’ADN. En avril 1953, les deux hommes, avec la collaboration de Maurice Wilkins, un chercheur du King’s College de Londres, présentent leur découverte dans un article de la revue Nature.
“La molécule qui détient le manuel d’instructions des êtres vivants a la forme d’une double hélice”, explique El País. “Cette configuration, semblable à deux escaliers en colimaçon dans lesquels les marches opposées suivent des règles d’appariement, permet à l’ADN de faire des copies héritées de lui-même”, ajoute le quotidien espagnol. M. Watson a repris depuis la formule de son confrère, Francis Crick : ils ont révélé “le secret de la vie”.
Le Washington Post note que leur découverte a “encouragé l’ascension de l’industrie florissante de la biotechnologie avec des applications dans les domaines de la médecine, de l’agriculture, de la police scientifique et des technologies vertes, entre autres”. La double hélice est devenue un “symbole de la science instantanément reconnaissable, visible dans le travail de Salvador Dali et les timbres de la poste britannique”, constate The Independent.
“Le chercheur n’avait que 25 ans lorsqu’il a publié l’étude qui a révolutionné la biologie”, rappelle El País. Il entre déjà “dans le panthéon de la science”, souligne le New York Times. En 1962, le scientifique partage le prix Nobel de médecine avec ses deux collègues. Une personne n’est pas honorée ce jour-là : Rosalind Franklin, la consœur de Wilkins au King’s College. C’est pourtant grâce à une photo prise par cette chimiste, décédée quelques années plus tôt, par une technique appelée cristallographie à rayons X que Watson et Crick avaient pu progresser dans leurs recherches. Mais elle l’ignorait. “Terriblement agacé par sa collègue, Wilkins avait transmis ses données à son insu au duo concurrent de Cambridge”, signale la Süddeutsche Zeitung.
En 1968, Watson publie La double hélice. L’ouvrage, un succès, se vend à plus d’un million d’exemplaires. Mais le livre n’évite pas les commentaires désobligeants à l’encontre de Rosalind Franklin. “Loin de reconnaître la contribution de sa partenaire, l’Américain a fait des remarques sexistes à son sujet alors qu’elle était morte d’un cancer de l’ovaire depuis une décennie […] Il s’est demandé “à quoi elle ressemblerait si elle enlevait ses lunettes et faisait quelque chose de différent avec ses cheveux”, déplore El País.
Elle est dépeinte comme la “méchante comique et sans rouge à lèvres de l’histoire”, pointe NPR tout en insistant sur le fait que “malgré ses failles”, le livre change la perception du public sur les scientifiques, présentés cette fois “comme des vraies personnes aux qualités et aux faiblesses humaines plutôt que des demi-dieux impénétrables dans une blouse blanche de laboratoire”.
Le rôle de Watson dans le décodage de l’ADN “aurait suffi à l’établir comme l’un des plus importants scientifiques du XXe siècle”, estime le New York Times. Mais si “la description de l’ADN et le prix Nobel qui l’ont suivie ont largement défini l’image publique de Watson, ces lauriers ne représentent qu’une partie de ses accomplissements”, insiste le Post.
Il prend la tête du laboratoire de Cold Spring Harbor, qui passe sous sa direction “d’un petit établissement de Long Island au passé trouble à l’un des centres mondiaux majeurs de la microbiologie”, salue le Times. En 1988, c’est à lui qu’on demande de diriger le - “alors controversé”, indique NPR - projet Génome Humain qui vise à établir le séquençage complet de l’ADN.
Mais le chercheur n’a pas que des admirateurs. “Je pense que c’est l’être humain le plus déplaisant que j’ai jamais rencontré”, écrit en 1994 le scientifique E.O Wilson en 1994, le qualifiant de “Caligula de la biologie”. Wilson n’était par exemple pas à l’aise quand il menait des entretiens d’embauche avec des candidats en surpoids parce qu’il savait qu’il n’engagerait pas quelqu’un de gros, raconte le Times.
En 2007, dans une interview au Sunday Times, il a confié son pessimisme sur l’avenir des Africains puisque les politiques d’aide au développement sont, dit-il, “basées sur le fait que leur intelligence est la même que la nôtre, alors que toutes les preuves montrent que non”. Face à la polémique, le biologiste a dû quitter le laboratoire de Cold Spring Harbor. Il s’est excusé, “contraint par l’indignation mondiale”, rapporte El País.
D’autres commentaires sexistes, homophobes et antisémites ont sali sa réputation, ajoute la BBC. Lui s’est “senti ostracisé par la communauté scientifique”, relève le média britannique. Mais en 2019, dans Decoding Watson, un documentaire de la chaîne PBS - alors qu’il avait “une occasion parfaite de reconnaître son erreur et de nettoyer son image”, suggère El País -, il a assuré qu’aucune nouvelle découverte scientifique ne l’avait fait changer d’avis. “Rester fidèle à ses convictions semblait faire partie de son ADN”, a ironisé NPR.
Courrier International




